Baromètre des engagements climatiques et solidaires : Présentation et synthèse
Dans le cadre du Projet d’appui à la mobilisation des ONG françaises sur le climat (Pamoc), la commission Climat et développement (CCD) de Coordination SUD anime une réflexion collective et pose les bases d’un dialogue institutionnalisé notamment avec les pouvoirs publics et entre les acteurs et actrices Développement-Climat français. La démarche consiste, d’une part, à veiller à la cohérence des politiques publiques françaises dans la mise en œuvre des engagements pris à l’échelle nationale et internationale, d’autre part, à ce que la France fasse preuve d’ambition sur la scène internationale et s’affiche comme un pays moteur de la lutte contre le dérèglement climatique. Les résultats de ces échanges et analyses sont compilés dans un baromètre.
Pour chacune des thématiques couvertes, le baromètre examine le degré d’intégration du « prisme climatique » dans les cadres stratégiques et initiatives d’aide au développement de la France avec un focus sur 2 des 17 objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015 par la communauté internationale. Concrètement, il s’agit d’évaluer la prise en compte des enjeux climatiques lors de la définition des modalités d’applications concrètes, dans les projets de développement mis en œuvre ou soutenus par la France, par rapport à ses engagements. Il s’agit d’analyser comment la question climatique est prise en compte dans les projets et inversement, comment les 2 thématiques étudiées sont intégrées dans les projets climat.
Cet outil se concentre dans un premier temps sur 2 thématiques :
• Le genre, en lien avec l’ODD 5 « Parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes et autonomiser toutes les femmes et les filles » ;
• L’énergie, en lien avec l’ODD 7 « Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable »
Une prise en compte de l’ODD 13 « Lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions », en trame de fond, permet de proposer un cadre de contrôle des orientations politiques françaises en matière de solidarité internationale.
Vous trouverez une présentation plus complète des objectifs et thématiques analysées par le baromètre dans sa version pdf.
Système d’évaluation
Chacune de ces thématiques fait l’objet d’une fiche pour laquelle Coordination SUD rappelle le contexte des engagements pris par la France avant de procéder à une analyse selon trois critères d’évaluation: la concrétisation, la pertinence et l’ambition.
-> L’engagement est-il suivi de faits ? Si tel est le cas, cette concrétisation est-elle :
- Pertinente au regard de l’engagement et de l’enjeu auquel elle entend répondre : les bons leviers ont-ils été activés ?
- Suffisamment ambitieuse : les moyens nécessaires sont-ils mis en œuvre pour remplir l’engament ?
Chaque critère peut être noté 0, 0,5 ou 1 selon le cas de figure. A noter que les engagements n’ayant pas été suivis d’actions, ne font pas l’objet d’une analyse sur leur pertinence ou ambition et obtiennent donc une note de « 0 ».
- Entre 2,5 et 3, l’engagement est suivi d’une déclinaison concrète, il est pertinent par rapport à l’objectif attendu, l’enjeu auquel il répond et est suffisamment ambitieux, la note accordée sera donc bonne.
- Entre 1,5 et 2, l’un des 2 critères – pertinence/ambition – n’est pas rempli ou rempli partiellement. La note accordée sera donc moyenne.
- 1, les 2 critères – pertinence/ambition – ne sont pas remplis. Cette note correspond donc à la simple traduction opérationnelle de l’engagement. La note accordée sera donc mauvaise.
- 0, l’engagement n’est pas suivi de déclinaison concrète. Il reste à l’état de déclaration d’intention. La note accordée sera donc nulle.
Synthèse générale du baromètre
Au travers de recherches bibliographiques et d’entretiens avec divers acteurs et actrices d’organismes publics et de la société civile, la Commission Climat et développement de Coordination SUD analyse l’action climatique de la France en termes de solidarité internationale. Les changements climatiques constituent l’une des plus grandes injustices de notre époque, ses effets pèsent de façon disproportionnée sur les personnes et pays du Sud, pourtant les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre et les plus limités pour s’adapter aux changements climatiques et mener leur transition. La lutte contre les changements climatiques est un enjeu transversal de ce baromètre des engagements climatiques et solidaires, il nous est apparu essentiel de l’analyser au regard d’autres thématiques et notamment au travers des objectifs de développement durable. La première édition de ce baromètre s’est concentrée sur les thématiques du Genre (ODD 5 « Parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes et autonomiser toutes les femmes et les filles ») et de l’Énergie (ODD 7 « Garantir l’accès de (toutes et) tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable »).
Genre & Climat
Les changements climatiques ont des impacts sur les dynamiques sociales, notamment en exacerbant des inégalités et injustices existantes. De par leur rôle-clé dans la collecte et la gestion des ressources naturelles (eau, bois..) qui sont de plus en plus rares ou lointaines en raison des impacts climatiques, les femmes et les filles, principalement dans les pays les plus vulnérables, font face à une surcharge de travail, voient leurs moyens de subsistance de plus en plus menacés et sont davantage exposées à des risques pour leur santé et leur sécurité. Néanmoins, elles sont des actrices importantes du changement et détiennent des connaissances et des compétences clé pour accélérer et renforcer les actions d’atténuation, d’adaptation et de réduction des risques face au changement climatique.
L’Accord de Paris consacre, dès son préambule, l’importance de prendre en compte les enjeux de droits humains et d’égalité de genre dans l’action climatique, avec la nécessité de briser les silos et de développer des solutions permettant à la fois de limiter les impacts climatiques et de rééquilibrer les relations de pouvoir de genre. En novembre 2017, le tout premier Plan d’Action Genre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) été adopté à la COP23, puis complété par un plan d’action quinquennal renforcé adopté à la COP25 en 2019. Son objectif général est de soutenir et d’améliorer la mise en œuvre des décisions et des mandats relatifs au genre adoptés jusqu’ici dans le cadre du processus de la CCNUCC. En tant que présidente de la COP21 en 2015, la France a joué un rôle de premier plan pour inclure la lutte contre les inégalités de genre comme essentielle dans l’action climatique. Depuis, elle a continué de mettre à profit sa diplomatie au service d’une réflexion et action conjointe contre le changement climatique et les inégalités de genre, dans plusieurs enceintes internationales dont le G7. Cependant, en tant que gardienne de l’Accord de Paris et porteuse d’une diplomatie féministe, la France doit rehausser l’ambition de ses actions en alignant ses discours avec des actes concrets, mesurables et avec un potentiel d’impact transformatif permettant aux femmes de pouvoir développer et répliquer des solutions en faveur du climat et de la biodiversité et de davantage participer aux décisions régionales, nationales et internationales relatives à ces enjeux. La France a co-organisé des ateliers de renforcement de capacités de négociatrices francophones et apporté une contribution financière limitée et unique à la mise en œuvre du plan d’action Genre de la CCNUCC. Bien que pertinentes, ces actions sont bien trop modestes par rapport au discours et à l’ambition affichée par là. Par ailleurs, le récent départ de la personne point focale Genre et Climat de la France qui avait occupé cette fonction depuis sa création en 2017, et joué un rôle proactif aux niveaux européen et international, peut potentiellement faire perdre du terrain à la France sur ces enjeux. Il est donc primordial que la France assure une transition fluide et rapide afin de continuer de jouer un rôle de premier plan dans le bloc européen lors des négociations genre au sein de la CCNUCC et monte en gamme pour devenir l’un des pays moteurs dans la mise en œuvre du plan d’action Genre de la CCNUCC.
En termes de ressources et d’accès aux financements, l’accès direct des petites et moyennes organisations féministes des pays du Sud – pourtant porteuses de solutions et au cœur des problématiques locales – aux financements climat reste très faible. Si la France a annoncé en 2019, la création d’un fonds de soutien aux organisations féministes et lancé un appel à propositions dédié aux enjeux genre et climat, la pérennisation de ce fonds n’est pas assurée. Et la flexibilité de ses financements et l’inclusion d’organisations de la société civile féministes dans leur diversité font encore l’objet d’un plaidoyer fort de la part de la société civile vis-à-vis de la France. Cela risque donc d’être une réponse insuffisante pour faciliter l’accès direct des OSC féministes locales à ces financements afin qu’elles puissent mener ou répliquer des projets à l’échelle communautaire ; un enjeu clé pour lutter efficacement contre le changement climatique et les inégalités de genre.
L’innovation technologique est une composante indispensable de la réponse à la crise climatique. La mise au point et le transfert de ces technologies font ainsi l’objet de l’article 10 de l’Accord de Paris Elles représentent de fait potentiellement un puissant levier de transition et transformation vers un modèle plus résilient, moins carboné et plus équitable. En raison des normes sociales et culturelles, les inégalités entre les femmes et les hommes sont encore très fortes dans l’accès aux technologies climatiques et leurs avantages. Malgré son importance cruciale, ce sujet n’avance pas au sein des enceintes internationales. De fait, il manque aujourd’hui cruellement d’une approche différente pour l’ensemble des processus liés au transfert et développement de technologies Climat qui empêchent un développement ou un transfert de technologies plus juste ou qui corrige ces inégalités.
L’Agence française de développement (AFD), a récemment développé un narratif autour d’approches intégrées permettant de rapprocher les deux engagements structurants de son plan d’orientation stratégique IV (100% lien social et 100% Accord de Paris) et mentionne les enjeux croisés d’inégalités de genre et de vulnérabilités face au changement climatique. A ce jour, l’AFD ne dispose pas d’une stratégie publique dédiée au genre, laissant craindre un affaiblissement des ambitions en la matière. L’évaluation de la précédente stratégie Genre et Développement de l’AFD, mentionne même des tensions entre les priorités Climat et Genre, la première bénéficiant d’un portage plus important par la hiérarchie. La réflexion et les actions sur les inégalités croisées et l’articulation entre les priorités Genre et Climat du groupe devront être renforcées, y compris dans les différentes stratégies transversales sur le Genre et le Climat. Une intégration effective du genre, voire une institutionnalisation du genre, requiert des ressources, un personnel et des fonds dédiés à l’accompagnement des équipes, à la prospection et au suivi de projets. Une équipe renforcée, à minimum doublée avec un temps significatif dédié à ces fonctions faciliterait l’intégration du genre au sein des activités. Concernant l’intégration du Genre dans les projets Climat de l’AFD, la Commission Climat et développement s’est concentrée sur deux Facilités Climat. Si la Facilité Adapt’Action semble afficher une volonté d’intégration du genre, les résultats sont mitigés du fait de l’absence de mesures contraignantes. De son côté, la Facilité 2050 intègre le genre au cas par cas, sans toutefois afficher une ambition spécifique. L’ambition d’intégrer des enjeux Genre est donc très faible voire inexistante en dépit des liens thématiques potentiels.
Energie et Climat
Énergie & Climat sont deux domaines intrinsèquement liés. Les choix pris par la France en matière de soutien soit aux énergies renouvelables soit aux fossiles dans le cadre de sa politique de solidarité internationale peuvent avoir des répercussions majeures en termes de croissance des émissions de GES dans le monde.
L’énergie est donc un enjeu clé de l’atténuation aux changements climatiques car la quantité d’énergie consommée et le choix des technologies utilisées pour la produire ont un impact direct sur les émissions de gaz à effet de serre. De plus, les conséquences du dérèglement climatique auront un impact fort sur les ressources (biomasse, eau par exemple) et les infrastructures de production et de transport de l’énergie. Il y a donc également un fort enjeu d’adaptation aux changements climatiques dans le secteur de l’énergie car tous ces facteurs peuvent la rendre inaccessible pour certaines populations (rupture d’approvisionnement, augmentation des prix).
Si le lien entre climat et énergie est clairement reconnu et pris en compte dans les actions de solidarité internationale de la France, nous constatons néanmoins certaines limites. La première reflète les problématiques des organisations membres de Coordination SUD dans la mise en œuvre et le suivi de leurs actions sur le terrain. Des moyens techniques et financiers additionnels doivent être mis à disposition des organisations de solidarité internationale pour leur permettre de réaliser des études préalables sur les enjeux climatiques liés à leurs projets (diagnostics de vulnérabilité face aux changements climatiques et suivi d’indicateurs d’atténuation ou d’adaptation). Ces pratiques sont encore trop peu maîtrisées et mises en place par les acteurs et actrices sur le terrain.
La seconde limite concerne une trop faible prise en compte des enjeux qui ne sont pas directement liés aux émissions de gaz à effet de serre. Si l’AFD se fixe des objectifs ambitieux en termes de financement pour l’adaptation, les retours de nos organisations membres sur le terrain font remonter un manque de moyens pour le maintien en bon état des infrastructures énergétiques. Les changements climatiques risquent d’accentuer les besoins en maintenance pour garantir l’efficacité des projets liés à l’énergie et des moyens dédiés doivent être prévus dans le cadre des projets afin de ne pas en réduire l’impact et d’entraîner une explosion de déchets précoces pour lesquels des filières de gestion ne sont pas encore matures dans les pays d’intervention.
La troisième limite identifiée concerne l’impact « caché » de notre propre transition énergétique sur les pays en développement que la France s’engage à soutenir. Les besoins accrus de certains matériaux et la production de déchets associée peuvent avoir un impact néfaste qui est encore trop peu documenté et pris en compte. A ce titre, les enjeux de sobriété et d’innovations frugales doivent s’appliquer tant sur le territoire français que dans notre manière d’aborder le développement.
Enfin, il est toujours nécessaire de questionner le niveau d’ambition des actions menées. A ce titre, les calendriers d’exclusion des aides aux énergies fossiles, notamment au travers des soutiens à l’export, nous paraissent encore trop souples et incompatibles avec une limitation de la hausse des températures moyennes sous les 1,5°C. Cette ambition est également questionnée par la participation de la France et de l’Union Européenne au Traité de la Charte de l’Energie et met en péril la mise en place de politiques climatiques cohérentes avec l’Accord de Paris.
Globalement, le travail autour du baromètre et les entretiens réalisés ont permis de constater que l’appropriation de l’agenda 2030 reste insuffisante en France. Les ODD sont souvent mentionnés dans les documents stratégiques et les planifications politiques mais ils ne sont jamais réellement utilisés comme des indicateurs de suivi ou d’aide à la décision. Pour aller dans ce sens, l’IDDRI a notamment publié une étude proposant des pistes pour mieux utiliser les ODD dans la relance post-COVID19. Il s’agira pour le baromètre de Coordination SUD de poursuivre son travail transversal sur les liens entre le climat et les autres ODD dans la solidarité internationale pour mettre ces enjeux au cœur des engagements et des actions de la France.
AUTEURS ET AUTRICES
- Jean-Baptiste Poncelet, Chargé de programmes Amérique latine et référent climat, Acting 4 Life
- Angelo Consoli, Chargé de programmes Amérique latine et référent climat, Acting 4 Life
- Fanny Petitbon, Responsable plaidoyer, CARE France
- Léa Vernhet, Chargée de plaidoyer Climat, CARE France
- Mélanie Pelascini, Chargée de mission analyse et plaidoyer, Coordination SUD
- Camille André, Responsable programme énergie et climat, Geres
- Marina Dubois, Responsable projet Inclusion et Energie, Geres
- Lucas Winkelmann, Chargé de programme Climat et Carbone, Geres
- Alexis Caujolle, Responsable programme accès à l’énergie, Geres
- Mélanie Canino, Chargée de mission Genre et vie associative, GRET
- Guillaume Quelin, Chargé de projet Climat, GRET
- Maud Ferrer, Chargée de projets énergie biomasse, GRET
- Juliette Darlu, Responsable de projets énergie, GRET
- Camille Tignon, Chargée de mission Climat, Énergie et Forêt, Initiative Développement
- Jérémy Gallet, Délégué Général, Electriciens sans frontières
- Tiffanie Petit Goffi, Chargée de communication, Energies pour le Monde
Les auteurs et autrices souhaitent adresser leurs remerciements aux personnes dont les contributions et réponses ont permis d’alimenter le contenu du baromètre.
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