Note de position|Équilibre prêt et don : pour une APD tenant ses promesses
L’aide publique au développement (APD) peut être constituée de dons ou de prêts. Le prêt est un des canaux qui a pris le plus d’essor dans l’APD française ces dernières décennies. Pourtant, cette pratique n’est pas sans incidence sur les l’atteinte des objectifs que la France s’est donné en matière de solidarité internationale.
Historiquement, la France est un pays davantage prêteur que donneur en ce qui concerne son aide publique au développement, à l’instar du Japon et de la Corée du Sud. Ce choix est résolument politique dans la mesure où le prêt et le don répondent à des objectifs différents de développement.
La France dispose d’un cadre politique et juridique qui définit ces objectifs. La Loi d’orientation et de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (la LOP-DSLIM votée en août 2021) ainsi que le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) fixent des priorités et des objectifs de la politique de solidarité internationale de la France.
Cette politique vise à concentrer en priorité les financements sur les pays les plus pauvres de la planète et à financer les grandes priorités de l’Agenda 2030 tels que l’éducation, la santé, l’accès à l’alimentation, l’accès à l’eau, etc et le Cicid de 2028 ainsi que la loi du 4 août 2021 réaffirment cette priorité donnée au don.
La composition de l’aide au développement de la France est-elle en cohérence avec ses objectifs ?
C’est pour répondre à cette question, analyser l’impact du choix stratégique entre le prêt et le don sur les projets de développement financés par la France et produire des recommandations, que Coordination SUD en coopération avec la Coalition Eau, a commandé une étude réalisée par une consultance externe, intitulée « Stratégie prêts-dons de la France en matière d’aide publique au développement : quelle cohérence avec ses objectifs de solidarité internationale ? » (à télécharger ci-contre)
Principaux résultats de l’étude
- La France se positionne comme troisième pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE qui utilise le plus de prêts dans son aide publique bilatérale.
- L’augmentation de l’APD sur ces dernières années a été portée par les prêts davantage que par les dons.
- Cette augmentation des prêts n’est pas sans conséquence pour les pays les moins avancés (PMA) pour qui le remboursement des prêts est souvent lourd pour les finances publiques ; et sur les services sociaux de base (SSB), tels que l’éducation, la santé, l’accès à l’alimentation, l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, qui sont souvent moins rentables.
- La France compte ainsi parmi les pays les plus riches qui investissent le moins dans les services sociaux.
- Ce sont les pays à revenus intermédiaires (PRI) et non les pays les moins avancés (PMA) qui sont les principaux bénéficiaires de l’aide française.
- La hausse des taux d’intérêt mondiaux engendrera des coûts élevés pour la France car elle ne peut pas augmenter les taux auxquels elle prête. Ces derniers sont déjà proches du seuil qui permet leur comptabilisation en APD.
- La situation financière des pays en développement est alarmante et la France continue de prêter à ces pays, faisant peser sur eux le spectre d’une nouvelle crise de la dette.
- Du fait de contraintes propres à une institution telle que l’Agence française de développement (AFD), qui déploie la majorité des prêts d’APD de la France, le contexte lui impose de s’adapter en diversifiant ses emprunteurs pour continuer à pratiquer le prêt. On observe ainsi une augmentation des prêts à des établissements publics, collectivités locales, etc au détriment des États directement. Cela permet l’ouverture croissante de l’Agence aux pays émergents et à revenus intermédiaires, au détriment des PMA.
Pourquoi est-il important de changer le modèle ?
Le modèle financier de l’APD française est construit sur le prêt. Néanmoins, ce modèle est menacé par l’augmentation des taux d’intérêt, le spectre d’une nouvelle crise de la dette et, de surcroit, ne permet pas d’atteindre les objectifs donnés par la loi.
Deux voies se dessinent pour l’APD française :
- La poursuite de la stratégie actuelle consistant à mobiliser de plus en plus les financements disponibles pour un soutien aux PRI, en capacité de rembourser leur dette, notamment dans le domaine des transports et de l’énergie (qui sont des secteurs particulièrement rentables).
- Une réforme de l’APD française, pour qu’à mi-chemin de l’Agenda 2030, et en phase avec les objectifs de la politique de solidarité internationale, les dons redeviennent majoritaires afin de concentrer l’aide avant tout sur les pays prioritaires et les besoins de base des populations.
Les recommandations de Coordination SUD
Une hausse significative du volume des dons permettrait :
- Que l’accès aux services sociaux de base puisse être au cœur des politiques et stratégies de développement de l’aide française, à hauteur de 50 % de l’aide bilatérale ;
- Que les pays les moins avancés et les pays d’Afrique subsaharienne soient érigés véritablement prioritaires, à hauteur de 50 % de l’aide bilatérale ;
- Que les projets et programmes dans les pays en risque modéré ou élevé de surendettement puissent continuer à être financés sans que cela n’augmente le risque de crises de surendettement.