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Tribune|Conditionner l’aide au développement au contrôle de l’immigration, une ligne rouge que la France ne doit pas franchir

Paris, le vendredi 15 décembre 2023 – Le projet de loi « Pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » poursuit son chemin via une commission mixte paritaire. Les ONG signataires restent mobilisées contre toute disposition visant à introduire une conditionnalité de l’aide française au développement à des dispositions des pays partenaires en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Une telle conditionnalité serait néfaste et dangereuse pour son impact sur la politique française de développement et de solidarité internationale, et plus largement pour les relations

Cette tribune est publiée en ligne sur les sites :

l’Humanite – Conditionner l’aide au développement au contrôle de l’immigration : la ligne rouge que la France ne doit pas franchir

Blog Mediapart – L’aide au développement conditionnée au contrôle de l’immigration, une ligne rouge !


Au cours de leur examen du projet de loi, les député·es avaient proposé un article modifiant en profondeur la loi n°2021 1031 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, adoptée à l’unanimité le 4 août 2021. Il introduirait notamment une modification de l’article 1er de cette loi sur les objectifs de la politique de développement de la France, afin de conditionner l’aide publique au développement à la coopération des États tiers en matière de « lutte contre l’immigration irrégulière ». Cet article introduirait également une conditionnalité migratoire pour l’octroi des visas, y compris pour les titulaires de passeport diplomatique !

Ces dispositions sont inacceptables. D’une part, l’objectif principal de l’aide publique au développement est la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté, comme le rappelle l’article 208 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. L’aide doit reposer avant tout sur les besoins des populations dans les pays concernés, ainsi que sur les plans de développement et priorités décidés au niveau national. Ces principes d’efficacité de l’aide sont désormais adoptés au plan international.

D’autre part, la conditionnalité de l’aide contrevient de façon flagrante aux principes juridiques et constitue un détournement caractérisé de cette aide en la transformant en outil de pression diplomatique. Cette approche instaure une relation inégale entre États, qui va à l’encontre d’une démarche partenariale, pourtant prônée par l’Union européenne et ses États membres, et renforce des rapports de domination réels ou perçus comme tels. Loin d’être efficace, cette vision à court terme peut même nourrir le ressentiment de la population de ces pays à l’égard des États européens. Enfin, elle n’arrêtera pas celle ou celui qui a l’énergie d’affronter toutes les épreuves que lui réserve la migration clandestine, mais elle accroîtra les sévices, naufrages et atteintes à la dignité humaine.

La principale explication du rejet de la politique française dans de nombreux pays africains est bien là. La France a du mal à faire évoluer ses pratiques. Imposer sa volonté à ses anciennes colonies n’est plus possible. Comme le dit Achille M’Bembé (Politis n°1777) : « Une majorité de jeunes aspirent à une réelle souveraineté et à la transformation de leurs conditions de vie en Afrique même ». Ces transformations nécessitent une mobilité accrue des populations et ces mouvements se font essentiellement au sein des pays africains, au sein de chaque pays et entre eux. Les appuis extérieurs facilitant cette mobilité sont essentiels, en particulier pour créer des conditions de vie décentes dans les régions d’accueil, y créer des emplois et des services sociaux. Détourner l’aide de cet objectif serait une erreur.

Par ailleurs, brandir la menace des visas est une autre erreur profonde qui nuit avant tout aux intérêts et à l’influence de la France, comme ce fut le cas par exemple avec la dégradation simultanée et inédite des relations franco-algériennes et franco-marocaines à la suite de l’adoption de mesures dont l’un des principaux résultats a été de priver de visas les amis de la France dans ces deux pays. Les restrictions de visas affectant la circulation entre la France et le Mali, dans les deux sens, sont une absurdité au regard de l’importance majeure de la diaspora malienne en France et de ses liens étroits avec la société civile malienne.

Les diasporas jouent un rôle clef au plan socio-économique mais aussi au plan de la circulation des connaissances et des valeurs, dans les deux sens. Y compris les valeurs de liberté, égalité et fraternité.

Contrairement à ce évoqué durant les premiers débats, le ciblage migratoire n’est absolument pas une inspiration du ciblage de l’instrument d’aide extérieure de l’Union européenne (NDICI). En effet, celui-ci ne cible pas la « lutte contre l’immigration irrégulière » qui est un objectif avant tout sécuritaire impliquant le déploiement de moyens policiers ou militaires qui ne doivent pas entrer dans la comptabilisation de l’aide publique au développement, en vertu des règles du Comité d’aide au développement de l’OCDE (voir comptabilisation en APD des activités migratoires de l’OCDE, juin 2023). Ce ciblage européen n’est qu’indicatif et évoque un objectif large, qui est celui de la gouvernance des migrations et des déplacements forcés, dans l’esprit du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (règlement UE 2021/947 du 9 juin 2021, alinéa 51).

La conditionnalité migratoire et le détournement de l’aide publique au développement constituent des lignes rouges que la France ne doit pas franchir, pour des raisons légales, éthiques et d’efficacité dans la lutte contre les inégalités. Cette vision avait irrigué les débats sur la loi n°2021-1031, au cours desquels la majorité parlementaire, le rapporteur M. Hervé Berville et le ministre M. Jean-Yves Le Drian avaient à plusieurs reprises répété leur engagement contre la conditionnalité et le détournement de la politique de développement, en rejetant plusieurs amendements déposés en ce sens.

Les organisations suivantes réunies au sein de Coordination Sud appellent donc la représentation nationale à ne pas introduire dans le projet de loi cette disposition maladroite et contreproductive.

Organisations signataires :

Coordination SUD, Olivier Bruyeron, Président

 

ActionAid France, Luc De Ronne, Président

 

Action contre la Faim, Frédéric Penard, Directeur général ad interim

 

Aides, Marc Dixneuf, Directeur général

 

Apprentis d’Auteuil, Nicolas Truelle, Directeur général Asmae Sœur Emmanuelle, Adrien Sallez, Directeur général

 

AVSF – Agronomes et Vétérinaires sans frontières, Frédéric Apollin, Directeur

 

Batik International, Pauline de la Cruz, Présidente

 

Bioport, Nicolas Petit, Directeur général

 

CARI, Patrice Burger, Président du Conseil d’administration

 

Ciedel, Riyad Harrath, Président

 

Clong-Volontariat, Daniel Verger, Président
Comité Français pour la Solidarité Internationale, Anne-Françoise Taisne, Déléguée générale

 

Conseil de béninois de France, Jean-Charles Ahomadegbe, Président Cosim Nouvelle Aquitaine, Alioune Sy, Président

 

Crid, Noura Elouardi, Coordinatrice Exécutive

 

Empow’Her Global, Soazig Barthélémy, Directrice générale

 

Engagé·e·s et Déterminé·e·s, Oriane Del Taglia, Déléguée générale

 

Equipop, Aurélie Gal-Régniez, Directrice exécutive

 

Expert-Solidaires, Eric Buchet, Président

 

Forim, Mackendie Toupuissant, Président

 

Geres, Laurence Tommasino, Déléguée générale

 

GRDR, Jean-Marc Pradelle, Président

 

Gref, Jacques Guillaud, Président

 

Gret, Henry de Cazotte, Président

 

Groupe Initiatives, Marie-Noëlle Reboulet, Présidente

 

Habitat-Cité, Marie Pascal, Directrice

 

HAMAP-Humanitaire, Martine Gernez, Président

 

Ingénieurs sans frontières France, Mehdi El Kamily, Président

 

Initiative Développement, Agnès Rossetti, Présidente

 

Initiatives et Changement, Marina Benedik, Déléguée générale

 

Iram, Henri Leturque, Directeur

 

Kynarou, Sophie Lehideux, Fondatrice et Directrice

 

La Chaîne de l’Espoir, Anouchka Finker, CEO

 

La Fondem, Vincent Jacques le Seigneur, Directeur général

 

Le Partenariat – Centre Gaïa, José Mariage, Directeur

 

Le Planning familial, Mel Noat, Bureau Confédéral du Planning Familial

 

Les Amis des Enfants du Monde, Béatrice Musseau, Animatrice du groupe plaidoyer LP4Y Alliance, John Delaporte, Président

 

Madera, Sarah Gogel, Coordinatrice générale

 

Migrations & Développement, Jacques Ould Aoudia, Vice-Président Partage, Yolaine Guérif, Directrice générale
Peuples et Montagnes du Mékong, Jean-Michel Courtois, Président

 

Planète Enfants & Développement, Véronique Jenn-Treyer, Directrice Première Urgence Internationale, Thierry Mauricet, Directeur général

 

Santé Sud, Benjamin Roudier, Directeur général

 

Sèves, Romain Desvalois, Délégué général Sidaction, Florence Thune, Déléguée générale

 

Solidarité Laïque, Anne Marie Harster, Présidente Touiza Solidarité, Mohamed Khandriche, Président UrbaMonde France, Béa Varnai, Présidente

 

WECF, Véronique Moreira, Présidente

*************************

Contact presse

Marie-Pierre Liénard, lienard@coordinationsud.org – Tél : 01 44 72 03 78 / 07 76 78 15 19

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Coordination SUD est la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale. Fondée en 1994, elle rassemble aujourd’hui près de 170 ONG, adhérents directs ou au travers de six collectifs (Clong-Volontariat, Cnajep, Coordination humanitaire et développement, Crid, Forim, Groupe Initiatives), qui mènent des actions humanitaires d’urgence, d’aide au développement, de protection de l’environnement, de défense des droits humains auprès des populations défavorisées mais aussi des actions d’éducation à la solidarité internationale et de plaidoyer.

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