Étude sur la gouvernance pénitentiaire en Afrique subsaharienne : pratiques informelles et influence historique
La détention préventive est l’enfermement d’une personne avant que son procès ait fait l’objet d’une décision de justice définitive. Elle constitue une atteinte à la présomption d’innocence et est considérée comme une détention préventive abusive lorsque les règles qui l’encadrent ne sont pas respectées. Cette pratique a des incidences socio-économiques sur les prévenu·es et leurs proches, contribue à la surpopulation carcérale et impacte les conditions de détention. Cette surpopulation est considérée comme une forme grave de traitement cruels, inhumain ou dégradant, voire de torture. Les Nations unies et l’Union africaine ont adopté ces dernières années des normes visant à humaniser les conditions de détention et à en réglementer l’usage. Ainsi, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le 17 décembre 2015, l’« Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus », et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a adopté en mai 2014 les « Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique ».
Forts de leur présence auprès « des oublié·es » de la justice, les ACAT partenaires du projet et la FIACAT ont décidé de lutter contre ce phénomène de mise en détention préventive abusive. Depuis 2014, le programme DPA a été mis en œuvre au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, en République du Congo, en République démocratique du Congo et au Tchad. La FIACAT et les ACAT partenaires œuvrent à réduire la surpopulation carcérale par la formation du personnel judiciaire, pénitentiaire et de la société civile. Lors des visites des prisons les ACAT identifient les cas de détention préventive abusive. Le suivi des dossiers est assuré par des avocat·es référent·es, soutien juridique des membres ACAT sur le terrain, jusqu’à la libération provisoire ou définitive des personnes en attente de jugement. La FIACAT et les ACAT accompagnent les autorités pour mettre en œuvre les recommandations des organisations régionales et internationales et sensibilisent la population sur les droits des détenu·es.
Actuellement mis en œuvre en République du Congo, en Côte d’Ivoire, à Madagascar et au Cameroun, le programme DPA bénéficie du soutien financier de l’Agence française de développement, de la délégation de l’Union européenne au Congo, de la délégation de l’Union européenne en Côte d’Ivoire, de l’Union européenne (UE), du CCFD-Terre solidaire et de Tavola Valdese.
Conscientes que la recherche académique est un véritable levier pour leur plaidoyer, la FIACAT et les ACAT du programme DPA ont investis ce domaine. C’est notamment le cas en Côte d’Ivoire avec l’étude « Présumé.e innocent.e », co-écrite par la FIACAT, l’ACAT et le CERDAP2 et publiée en 2020 qui a permis de mettre en lumière l’application discriminatoire de la détention préventive, puis avec leur contribution à l’ouvrage « L’État ivoirien à l’épreuve de la détention préventive », publié en 2022 et qui souligne les enjeux des réformes pénales et des droits des personnes détenues en Côte d’Ivoire et, plus généralement, en Afrique subsaharienne.
Ces travaux sont autant d’éléments qui viennent également nourrir les travaux conjoints menés avec la Rapporteure spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) sur les prisons, les conditions de détention et l’action policière en Afrique. La Rapporteure spéciale de la CADHP sur les prisons, les conditions de détention et l’action policière initie pour les deux années à venir une étude qui vise à mettre en exergue les conditions de détention réelles ainsi que les facteurs affectant la situation carcérale en Afrique, notamment en matière de surpopulation et de discriminations, en vue de mobiliser les États africains pour un changement de paradigme dans le traitement des questions relatives au système pénitentiaire.
En s’appuyant sur ces expériences de recherche, la FIACAT et les ACAT du programme DPA ont décidé d’explorer un aspect moins visible et souvent négligé mais tout aussi crucial du système pénitentiaire : les pratiques informelles de gestion et de gouvernance des prisons en Afrique. Cette nouvelle étude viendrait compléter les travaux précédents, dans l’objectif d’ouvrir une perspective plus complète des enjeux qui façonnent la réalité carcérale et influencent directement les conditions de vie et les droits des détenu·es en Afrique subsaharienne.
Les systèmes pénitentiaires implantés par les puissances coloniales ont souvent été adaptés pour perpétuer l’ordre colonial et tirer profit des territoires annexés, établissant des structures de pouvoir asymétriques au cœur desquelles les détenu·es étaient mobilisé·es pour assurer la surveillance et l’administration des prisons, en réponse aux ressources limitées consacrées aux établissements pénitentiaires coloniaux. Au-delà des cadres officielles, le fonctionnement réel des établissements pénitentiaires dépend toujours d’un système de gouvernance partagée entre l’administration et une hiérarchie informelle de détenu·es, hérité de l’époque coloniale, alimenté par la surpopulation carcérale ainsi que le manque de ressources et de personnel. En remettant en question la vision occidentalo-centrée des prisons africaines, l’étude offrira une compréhension plus nuancée de leur fonctionnement. Ultimement, elle visera à proposer des pistes de réflexion pour améliorer les conditions carcérales, adaptées aux contextes locaux et qui serviront de base d’action et de plaidoyer.
Objectifs
- Objectif général
L’objectif général de la présente consultance est de développer et publier une étude analysant les pratiques informelles de gestion et de gouvernance des prisons en Afrique subsaharienne en vue de proposer des pistes de réflexion aux autorités nationales et aux mécanismes internationaux et régionaux de promotion et de protection des droits humains en faveur de l’amélioration des conditions de détention.
- Objectifs spécifiques
- Identifier les pratiques informelles de gestion et de gouvernance des prisons, notamment en matière de surveillance et de sanctions
- Analyser la responsabilité des États dans les pratiques informelles de gestion et de gouvernance des prisons, en particulier pour des actes assimilables à de la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
- Explorer l’influence historique de la colonisation sur les systèmes pénitentiaires et sur les pratiques actuelles de gestion et de gouvernance des prisons
- Évaluer l’impact des pratiques informelles de gestion et de gouvernance des prisons sur les conditions de détention, en particulier sur la torture ou les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en tenant compte des facteurs de vulnérabilité des détenu·es (genre, âge, nationalité…)
- Proposer des pistes de réflexion pour améliorer la gestion et la gouvernance interne des prisons en vue de prévenir la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et garantir le respect des droits humains en milieu carcéral.
- Périmètre territorial
Cette étude s’étend sur les territoires suivants :
- Madagascar, où sera réalisée la collecte des données sur le terrain ;
- Les autres pays d’intervention du programme DPA : Cameroun, Côte d’Ivoire, République du Congo, République démocratique du Congo et Tchad, où seront menés des entretiens à distance pour une analyse comparative et une meilleure réception continentale des résultats de l’étude.
- Durée
La durée de la mission est estimée à 16 mois, comprenant la phase de cadrage de l’étude, la phase d’enquête à distance, d’analyse des enjeux et de formation, la phase de collecte et d’analyse des données ainsi que l’ébauche des recommandations, et enfin la phase de finalisation de l’étude et de restitution.
- Moyens
- Financiers
Le budget total de l’étude est fixé à 20 000 € toutes charges comprises (TTC) comprenant les honoraires et per diem de l’équipe de consultance, les frais de déplacements et transports nationaux et internationaux à Madagascar ainsi que la formation des membres ACAT en matière de collecte des données et de réalisation d’études.
Le déplacement pour l’atelier de restitution à l’occasion du Congrès continental sur les prisons ainsi que les frais de production pour l’édition, la mise en page, l’impression et la diffusion de l’étude seront pris en charge par la FIACAT.
Il est demandé à l’équipe de consultance d’intégrer dans leur offre une proposition budgétaire détaillée en euros TTC tenant compte de ces éléments.
-
- Humains
Cette étude sera conduite de préférence par une équipe de consultance interdisciplinaire ayant les compétences suivantes :
- une expertise avérée dans le domaine des droits humains notamment des droits civils et politiques, du milieu carcéral et de l’administration de la justice ;
- une connaissance approfondie des pratiques informelles de gestion et de gouvernance, de la responsabilité de l’État pour des actes commis par des acteurs non étatiques, de l’impact de la colonisation sur les systèmes pénitentiaires, ou tout autre domaine pertinent au regard des objectifs de l’étude ;
- une expérience avérée dans la conduite d’études académiques sur les systèmes pénitentiaires ;
- une connaissance pratique des enjeux et défis rencontrés par la société civile en Afrique subsaharienne ;
- une bonne compréhension du système carcéral spécifique aux pays cibles, en particulier à Madagascar.
Il est attendu que l’équipe de consultance ait une dimension régionale (a minima avec une présence et/ou une expertise significative sur le continent africain) et qu’elle intègre des expériences dans au moins un pays ciblé par l’étude.
L’étude est réalisée en collaboration avec un centre de recherche universitaire.
- Offre et date limite de soumission
Les prestataires intéressés sont invités à soumettre leur offre au format pdf comprenant :
- les lettres de motivation et curriculum vitae des consultant·es mobilisé·es, en précisant qui sera chef de mission ;
- une proposition technique (5 pages maximum) présentant votre compréhension des enjeux de l’étude et des termes de références, la méthodologie proposée pour répondre aux objectifs de l’étude, une proposition de calendrier d’exécution, le détail du déroulement de l’étude et des moyens mis en œuvre pour la réalisation de l’étude (comprenant la répartition du nombre de jours de travail aux différentes phases de l’étude et entre les différents consultant·es) ;
- une proposition financière. Il est attendu un budget détaillé (TTC) en euros indiquant les postes de dépenses, l’unité, le nombre d’unités, le coût unitaire, honoraires et per diem journalier par consultant·e, les frais de déplacements et transports nationaux et internationaux ainsi que la formation des membres ACAT en matière de collecte des données et de réalisation d’études.
La date limite de réception des offres par voie électronique (e-mail) est le vendredi 4 octobre 2024 à 12h00 (GMT+2 – Paris). Un accusé de réception vous sera envoyé dès réception de votre offre. Tous les courriels relatifs à cet appel d’offres sont à adresser à l’attention de Camille Aubinais, Chargée du programme DPA de la FIACAT, à l’adresse c.aubinais@fiacat.org et sous la référence « Consultance – étude prisons ». Les offres seront examinées par un Comité de sélection composé de 3 membres du Bureau international de la FIACAT.
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