Annulation des lignes directrices en matière de criblage par le Conseil d’État
English version below
En décembre 2021, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a diffusé des lignes directrices exigeant le criblage, c’est-à-dire la vérification que toute personne physique ou morale recevant des fonds dans le cadre de projets de solidarité internationale financés par les bailleurs institutionnels français, ne figure pas sur les listes de sanctions internationales ou nationales. Dans ces lignes directrices, cette vérification concernait les personnels, partenaires, prestataires de services, fournisseurs et populations bénéficiaires finales de l’aide.
Représentées par leur conseil, la SCP Spinosi, Coordination SUD et sept organisations co-requérantes (Action Contre la Faim, Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement, CCFD-Terre Solidaire, Coordination Humanitaire et Développement, Handicap International, Médecins du Monde, Secours Catholique Caritas France) ont déposé en février 2022 un recours au Conseil d’État contre ces lignes directrices, faisant valoir que celles-ci étaient plus restrictives que le droit en vigueur. Ce recours a été soutenu par 32 organisations membres de Coordination SUD portées en intervenantes volontaires[1].
Si ces lignes directrices avaient dû être appliquées, elles auraient créé des obligations, qui, en plus d’être inefficaces, auraient porté atteinte aux principes d’intervention des organisations de solidarité internationale. En effet, cribler les personnes bénéficiaires de l’aide sur la base de listes de sanctions est contraire aux principes humanitaires, notamment au principe d’impartialité selon lequel l’aide est fournie sur la base des besoins, principe appliqué par toutes les organisations humanitaires et de solidarité internationale. Par son application, cette mesure de criblage aurait introduit, de facto, un climat de défiance au sein des communautés auprès desquelles les organisations interviennent, non seulement nuisant à l’accès aux populations et à la qualité des programmes, mais accroissant aussi les risques pour la sécurité des personnels. Par ailleurs, alors qu’elle serait inefficace au regard des objectifs affirmés, la mise en œuvre du criblage aurait alourdi considérablement les procédures administratives. En outre, les organisations n’ont aucun mandat légal pour vérifier l’identité des personnes. Cela sans parler du fait que, dans nombre de pays, les bénéficiaires ne disposent pas de document d’identité rendant ainsi la mesure envisagée inopérante.
Le 10 février 2023, le Conseil d’État a annulé les lignes directrices en matière de criblage au motif que l’obligation de criblage n’existe pas en l’état du droit, et que les bailleurs institutionnels ne peuvent pas exiger la mise en œuvre d’une telle mesure par les OSC pour verser leurs subventions. Ceci est valable pour toutes les demandes de criblage : personnels, partenaires, fournisseurs et populations bénéficiaires de l’aide. Dans ses travaux, le Conseil d’État a précisé qu’à la différence des institutions bancaires (entre autres), la loi ne prévoit pas de moyens spécifiques applicables aux OSC pour respecter les sanctions internationales et les mesures de gel des avoirs. Cette décision confirme la position des ONG.
Les organisations de solidarité internationale réaffirment qu’elles adoptent des pratiques conformes à leurs principes d’intervention, respectueuses de la règlementation en vigueur et proportionnées aux risques identifiés en matière LBC-FT. Elles assurent par ces moyens la bonne utilisation et gestion de leurs ressources en cohérence avec la destination de leurs activités dans le cadre de leur projet associatif. Ces mesures de diligence reconnues effectives par nombre de bailleurs internationaux devraient l’être par les bailleurs français. Elles excluent le criblage des populations bénéficiaires de l’aide, qui reste une ligne rouge infranchissable pour les OSC.
La volonté politique de la France de préserver les principes humanitaires et de solidarité internationale, régulièrement manifestée sur les scènes nationales et internationales, se voit ainsi facilitée par la décision du Conseil d’État pour considérer que les pratiques antérieures aux lignes directrices concilient de manière satisfaisante les obligations de la réglementation LBC-FT et celles issues du droit international.
English version
Screening guidelines for international aid repealed by the French Supreme Court
In December 2021, the French Ministry for Europe and Foreign Affairs issued screening guidelines, i.e., an obligation to verify that all individuals and legal persons who receive funds through international solidarity projects financed by French institutional donors were not on international or national sanctions lists. Under these guidelines, the personnel, partners, service providers, suppliers and populations who were the ultimate beneficiaries of aid were required to undergo screening.
Represented by their counsel, SCP Spinosi, in February 2022 Coordination SUD and seven other co-petitioner organisations (Action Contre la Faim, Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement, CCFD-Terre Solidaire, Coordination Humanitaire et Développement, Handicap International, Médecins du Monde and Secours Catholique Caritas France) petitioned the Conseil d’État to repeal these guidelines. They argued that the guidelines were more restrictive than current positive law. This action was supported by 32 member organisations of Coordination SUD, who voluntarily joined the proceedings[1].
If these guidelines had been applied, they would have created obligations, which, in addition to being ineffective, would have breached the principles that govern the action of international solidarity organisations. Indeed, screening persons who receive aid on the basis of sanctions lists is contrary to humanitarian principles, in particular the principle of impartiality whereby aid is provided on the basis of needs (a principle that all humanitarian organisations apply) and the principle of international solidarity. In practice, this screening measure, ipso facto, would have fostered an attitude of mistrust within the communities that the organisations are trying to help, thereby not only impeding access to populations and diminishing the quality of aid programmes, but also increasing the risks for the safety of personnel. In addition to being ineffective in achieving its stated objectives, this measure would have made the administrative procedures significantly more complex. Moreover, aid organisations have no legal mandate to verify people’s identities, not to mention that, in many countries, aid beneficiaries have no identity documents, which would have made the contemplated measure impossible to apply in practice.
On 10 February 2023, the Conseil d’État repealed the screening guidelines on the ground that the law does not provide for a screening obligation, and that institutional donors cannot make the payment of their aid contingent on the implementation of such a measure by civil society organisations. This applies to all screening requirements, including checks on personnel, partners, suppliers and the people who benefit from the aid. In its reasoning, the Conseil d’État specified that, unlike banking institutions (among others), the law does not define specific methods that are applicable to civil society organisations in order to ensure compliance with international sanctions and asset freezing measures. This decision supports the position of NGOs on this matter.
International solidarity organisations have reiterated that they adopt practices which are aligned with their governing principles, comply with the regulations in force, and are proportionate to identified AML/CFT risks. Through such practices, they ensure that their resources are used and managed properly, in a manner consistent with the objective of their aid programme activities. Many international donors have acknowledged the effectiveness of these due diligence measures, and French donors should follow suit. These measures preclude the screening of those who receive aid, which is a red line that civil society organisations refuse to cross.
France’s political commitment to uphold humanitarian principles and to contribute to international solidarity, which is regularly demonstrated nationally and internationally, is thus facilitated by this decision of the Conseil d’État, which implied that the practices used prior to the guidelines struck a satisfactory balance between compliance with AML/CFT regulatory obligations and fulfilment of obligations under international law.
[1] Acting For Life, ActionAid, AIDES, AVSF, BATIK International, CFSI, CLONG, Commerce Equitable France, Equipop, FERT, FIDH, Fondation Danielle Mitterrand, FORIM, GERES, GRDR, GRET, Groupe Initiatives, Initiative Développement, Inter Aide, Oxfam, Première Urgence Internationale, Ritimo, Samu social International, SEVES, Sidaction, SIF, Solidarités International, SOS Villages d’Enfants France, Terre des Hommes France, Tetraktys, Triangle Génération Humanitaire, Women Engaged for a Common Future.
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