Acteurs et actrices de la solidarité internationale : quelle(s) mutation(s) ?
En France, depuis toujours, les ONG sont amenées à déployer leurs actions dans un contexte qui évolue. Toutefois, depuis quelques années, des mutations importantes incitent Coordination SUD à proposer aux ONG une analyse plus précise de ces transformations, pour en comprendre les principaux mécanismes et acteurs, et pouvoir mieux anticiper les évolutions à venir.
Également communément nommées associations de solidarité internationale (ASI), les ONG sont, depuis de nombreuses années, profondément engagées dans la recherche de réponses significatives aux problématiques de développement des pays du Sud, ainsi qu’aux crises humanitaires traversées par le monde. Ces ONG sont au service de l’intérêt général.
Toutefois, des acteurs de nature différente s’intéressent également aux enjeux internationaux, tels que définis par les Objectifs de développement durable (ODD), et plus largement au changement climatique, aux migrations et aux inégalités. Certains de ces acteurs existent depuis longtemps (par exemple, les acteurs du commerce équitable), d’autres sont apparus plus récemment, mais leur nature, leur nombre et leurs modalités d’intervention sur ces questions ont évolué au cours des dernières années. Si, de longue date, les ONG prennent, elles aussi, en compte ces enjeux, l’engagement croissant – et ressenti comme tel – de ces catégories supplémentaires d’acteurs peut être qualifié de « nouveauté ».
Force est de constater que le secteur de la solidarité internationale est en mutation continue du fait de différentes dynamiques :
- L’intervention de nouveaux acteurs, toujours plus nombreux et diversifiés, dans ce champ. Ils peuvent être issus du mouvement de l’entrepreneuriat social ou du secteur lucratif et cherchent à agir à une échelle internationale et/ou locale sur différents terrains. À cet égard, les récentes évolutions législatives dans le cadre de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) ont abouti à la création d’un statut de société à mission en France, offrant à des acteurs jusque-là peu présents ou de moindre intensité, la possibilité d’investir le champ de la solidarité internationale. Il est à noter que dans les pays anglo-saxons et dans d’autres pays européens, des structures du même type existent depuis des années ;
- La transformation (parallèlement à l’arrivée de ces nouveaux interlocuteurs) des modalités opératoires des bailleurs de fonds publics et privés, pour rechercher une efficacité toujours accrue, un développement à plus grande échelle permettant de toucher un plus grand nombre de personnes, mais aussi pour ouvrir le champ d’intervention à de nouveaux acteurs et, avec eux, à des financements issus de nouveaux horizons (esprit « Grand Bargain »). Ainsi se consolide tout un panel de moyens sociotechniques destinés à participer à l’effort de développement et à la lutte contre la pauvreté ;
- Plus largement et au-delà des financeurs, la société s’interroge également de multiples manières. Du côté des populations, des mouvements spontanés de citoyen·nes apparaissent et se font entendre dans l’espace public. Sans nécessairement rejoindre le cadre associatif traditionnel, ces mouvements promeuvent des formes d’organisation plus informelles, souvent aidées par des technologies nouvelles, et entendent être en mesure d’agir au plus près du terrain. Cette évolution fait écho à d’autres évolutions concomitantes, comme les logiques de «désintermédiation de l’aide [1] » et de « désinstitutionalisation [2] », dans lesquelles on s’interroge sur la réelle plus-value d’une institution qui affirme agir comme intermédiaire, mais qui peut biaiser, de différentes façons, les demandes des personnes qu’elle est censée représenter.
Les objectifs de l’étude
L’objectif de cette étude est de permettre le décryptage des caractéristiques et dynamiques, sinon toujours de réels « nouveaux » acteurs de la solidarité internationale, tout au moins d’acteurs et de pratiques visiblement en expansion dans ce champ.
L’approche retenue a été de partir des grandes tendances ressenties comme marquantes dans les mutations des acteurs de la solidarité internationale, de présenter ensuite un large panorama d’acteurs, ordonnés en une typologie simplifiée, et enfin de réfléchir sur cette galaxie d’intervenants.
Plus précisément, l’objectif de cette étude est que les ONG et les acteurs aujourd’hui déployés dans ce champ puissent appréhender des dynamiques différentes de celles qui préexistaient et qu’ils puissent en apprécier les singularités. Mieux comprendre les divers types d’action et les modalités d’intervention d’un certain nombre d’acteurs nouvellement arrivés dans le secteur de la solidarité internationale permet de redéfinir les orientations et la valeur ajoutée de chacun, et d’affiner les missions que les ONG peuvent développer pour valoriser leur spécificité en lien avec ces nouveaux acteurs.
Car, au fond, l’étude montre que peu d’acteurs sont totalement « nouveaux » dans leur forme juridique (les entreprises existent depuis longtemps, de même que les mouvements sociaux). Un choix était donc nécessaire.
Les acteurs présentés dans l’étude ont été retenus :
- Parce qu’ils n’existaient pas en tant qu’intervenants visibles dans ce domaine il y a encore quelques années ou alors de manière très embryonnaire (comme les entreprises sociales ou les intermédiaires financiers, par exemple) ;
- Parce que s’ils ne sont pas nouveaux en tant qu’acteurs de l’aide et de la solidarité internationale, ils occupent une place significative perçue comme nouvelle dans ce champ (comme les entreprises privées et les « citoyen·nes ») ;
- Parce qu’ils se caractérisent par des formes de gouvernance autres que celles couramment en usage, ce qui est le cas, par exemple, des mouvements sociaux, ou parce qu’ils adoptent des stratégies et modalités d’intervention singulières (comme les fondations dites « opératrices »).
L’étude décrit leur histoire dans le champ de la solidarité internationale et précise pourquoi certains acteurs émergent et/ou évoluent et/ou semblent prendre une place perçue comme nouvelle.
La structuration de l’étude
L’exposé des mutations à l’œuvre est divisé en deux parties :
- La première partie analyse les facteurs d’influence susceptibles d’être à l’origine des mutations des acteurs de l’aide ou de l’émergence de nouveaux acteurs ;
- La seconde se concentre sur l’étude de certains « nouveaux » acteurs, avec la présentation de leurs caractéristiques, de leur poids et de leurs modalités d’intervention, illustrée d’exemples concrets. Pour chaque acteur, une analyse est proposée, suivie par des éléments portant sur les questions soulevées par l’arrivée de ces acteurs parmi les intervenants préexistants, dont les ONG-I.
L’étude couvrant de nombreux champs, elle propose des ressources complémentaires (études, articles, etc.) permettant d’approfondir la question. Par ailleurs, les sections dédiées à chaque nouvel acteur peuvent être lues de manière relativement indépendante.
[1] Groupe URD. (2016). Humanitaires en mouvement, 17.
[2] Hirlet, P. & Pierre, T. (2017). Ce que la désinstitutionnalisation de l’intervention sociale fait au travail (du) social !. Sciences & Actions Sociales, 7, 105-115.