Travail de recherche universitaire|Droit humain à l’eau et à l’assainissement des femmes sans-abri et migrantes à Paris
Le manque de prise en compte des spécificités de genre dans les infrastructures sanitaires existantes multiplie les dangers pour les femmes sans-abri qui ne peuvent en bénéficier de manière adaptée créant encore davantage d’insécurité, de risques pour la santé, d’exclusion et d’atteinte à la dignité.
Dans le cadre d’un partenariat entre la Clinique Human rights, Economic Development and Globalization (HEDG) de SciencesPo et la Coalition Eau, des étudiantes en Master Human Rights & Humanitarian Action ont mené durant l’année universitaire 2019-2020 une étude de recherche sur le droit à l’eau et à l’assainissement des femmes migrantes sans-abri à Paris. Le rapport final propose plusieurs pistes d’action à l’attention des pouvoirs publics.
L’analyse de la situation des sans-abris dans la capitale, pourtant la ville française la mieux dotée en installations d’eau et en toilettes, souligne le manque d’effectivité des droits à l’eau et à l’assainissement.
L’exclusion systématique de certaines personnes de l’accès à un besoin aussi fondamental de la vie humaine est inacceptable. En France, les femmes migrantes sans-abri constituent un groupe particulier qui risque d’être exclu. Elles représentent environ 12% des 3335 sans-abris dénombré.e.s dans Paris intra-muros (Retour sur la troisième édition de la Nuit de la Solidarité, Ville de Paris, 21 janvier 2020, en ligne), vivant pour la plupart dans la rue, dans des squats et dans des camps informels dans la ville et aux alentours. Ces femmes dépendent des services publics mais n’y ont pas toujours accès, elles sont donc privées d’un accès à l’eau, à l’assainissement et à une hygiène de base.
L’absence d’une perspective de genre dans la conception des infrastructures sanitaires affecte chaque jour la vie des femmes sans-abri. Celles-ci sont confrontées à des défis spécifiques tels que la mauvaise gestion des menstruations, le contact avec des toilettes qui ne répondent pas à des normes d’hygiène adéquates, la multiplication d’infections urinaires et de maladies dermatologiques. La plupart d’entre elles font part également d’un fort sentiment d’insécurité en utilisant ces installations non adaptées et de leur crainte d’être agressées. Des installations unisexes ne sont pas synonymes d’une égalité dans l’accès.
Les infrastructures actuelles ont été conçues il y a une dizaine d’années, alors que la question des femmes sans abri n’était pas aussi pressante qu’elle l’est aujourd’hui. Dans Paris intra-muros il y a actuellement 421 toilettes publiques ouvertes (24h/24 ou une partie de la journée seulement), alors qu’il existe un total de 750 infrastructures, mais seulement 9 d’entre elles ont une table à langer pour les bébés et enfants (Toilettes publiques, Paris Open Data, en ligne ; Guide de la Solidarité – Hiver 2019-2020, Ville de Paris Paris, 2019, en ligne).
Pour Ivana Jiménez de la Clinique HEDG de SciencesPo :
« Sous-représentées dans les statistiques, les femmes sans-abri n’ont pas été suffisamment prises en compte dans l’aménagement urbain, les politiques publiques et la fourniture de services d’eau, d’assainissement et d’hygiène. En raison d’un manque de disponibilité, de la distance à parcourir, de l’inadéquation des installations et d’autres préoccupations telles que la sécurité, les femmes à la rue se retrouvent systématiquement exclues avec des impacts forts sur leur santé, l’hygiène, la dignité et la sécurité. Lorsque le droit à l’eau n’est pas respecté, d’autres droits humains en souffrent également. »
Les dernières données nationales disponibles remontent à 2012, depuis, la proportion de femmes a augmenté selon les représentants d’associations expertes dans le domaine. Malgré les efforts de la ville pour bénéficier de données actualisées, par exemple avec le dispositif de la Nuit de la Solidarité à Paris, les méthodes actuelles de collecte de données, réalisées principalement la nuit lors de maraudes, sous-estiment le nombre de femmes sans abri dans la ville car celles-ci restent cachées par crainte des agressions nocturnes.
UNE VIGILANCE ACCRUE À APPORTER AUX BESOINS DES FEMMES
Alors que nous traversons un épisode généralisé de crise sanitaire, le lavage des mains apparaît comme la meilleure mesure préventive pour éviter de contracter ou de propager des maladies et en particulier le Coronavirus. Cette consigne de base reste impossible à respecter pour les personnes qui vivent au quotidien sans équipements d’accès à l’eau, avec l’impossibilité de se laver les mains, au risque d’exacerber les inégalités et les stigmatisations, et de mettre en péril leur vie.
Les conclusions de l’étude présentent plusieurs pistes d’action aux décideurs :
- L’Etat doit développer une approche basée sur les droits dans les processus de décision concernant la disponibilité d’infrastructures publiques d’eau, d’assainissement et d’hygiène.
- L’Etat doit relancer le programme de l’INSEE d’enquête et de production de données sur la population sans-abri.
- Les collectivités territoriales, avec l’appui des services de l’État, doivent installer plus de d’infrastructures afin pour que l’accès à l’eau potable et aux sanitaires soit maximisé dans le temps et dans l’espace.
- Les collectivités territoriales, avec l’appui des services de l’État, doivent adapter les poubelles aux déchets menstruels.
Au vu des conclusions de ce rapport, la Coalition Eau et les ONG partenaires de la campagne « L’eau est un droit! », en lien avec le programme HEDG de l’École de Droit de Sciences Po, interpellent le gouvernement français au sujet de la situation des femmes migrantes sans abri, afin que des mesures urgentes soient prises pour que les femmes sans-abri et migrantes puissent avoir accès aux installations en eau et installations sanitaires dont elles ont besoin.